N°58 - Hier et aujourd'hui
Introduction par Irène Sokologorsky : Hier et aujourd’hui, de l’URSS à la Russie nouvelle
Vil MIRIMANOV. - Ma vie, mes vies / traduction de Jacqueline Paudrat.
Véra TRAIMOND. - Histoire d’une exécution ordinaire / traduction de Marianne Gourg.
Irina EMELIANOVA. - Kiev. Mai 2016 / traduction de Maria-Luisa Bonaque.
Anatoly KOURTCHATKINE. - Le Vol du bourdon / traduction de Marianne Gourg.
Victor GASTELLO. - Séance de travail / traduction d’Odile Belkeddar.
Sergueï GOVOROUKHINE. - Un parmi tant d’autres / traduction de Jacqueline Paudrat.
Mikhaïl VELLER. - Mythes nationaux / traduction collective LRS.
Marina TIOMKINA. - Le rêve / traduction de Jacqueline Paudrat.
Hier et aujourd’hui
De l’URSS à la Russie nouvelle
L’idée était de mettre en parallèle, ou au moins côte à côte, des écrits rendant compte de la réalité d’hier, soit celle de l’URSS, et d’autres évoquant la Russie d’aujourd’hui.
Le numéro s’ouvre par deux témoignages sur les années les plus noires et les plus douloureuses de l’époque soviétique.
Le premier évoque le drame de ceux qui, engagés de tout cœur dans la révolution, se trouvent victimes de ceux-là même avec qui ils pensaient partager leurs espoirs et leur volonté de changer le monde. Le sujet a certes été largement traité dans la littérature, mais la brièveté et l’authenticité du témoignage présenté ici est plus parlant que bien de longues pages.
Rendant compte d’une situation plus exceptionnelle dans laquelle on voit un très haut gradé de la marine abriter chez lui la femme d’un « ennemi du peuple », le second jette une lumière sur la complexité de cet univers soviétique qui était tout sauf univoque.
Des extraits du récit d’un voyage effectué aujourd’hui par l’une des victimes de ces répressions viennent heureusement compléter ces deux témoignages en faisant percevoir la façon dont, en arrière fond des joies, de la bonne humeur et du plaisir esthétique que peut connaître Irina Emilianova avec ses amis, demeure toujours présente la marque indélébile de la tragédie vécue.
L’ensemble que constituent les autres textes présentés éclaire de manières diverses un présent dont on peut se demander dans quelle mesure ses racines ne sont pas à rechercher dans le passé.
Les cinq textes de Mikhaïl Veller qui clôturent le numéro sont d’une autre nature.
On sait la façon dont, en l’absence dans le pays d’une parole politique ou philosophique libre, la littérature a de tout temps été en Russie le lieu de la réflexion de la société sur elle-même. Qui ne se souvient de la formule heureuse d’E. Evtouchenko : « En Russie, le poète est plus qu’un poète ».
Les très nombreuses œuvres de prose, réalistes ou fantastiques, qui paraissent aujourd’hui démontrent à l’évidence que cette tradition se perpétue. Qu’ils portent le regard prioritairement sur des moments éloignés de la vie russe ou soviétique ou qu’ils concentrent leur attention sur le temps présent, romanciers et nouvellistes ne cessent d’interroger l’histoire du pays, essayant d’en cerner les lignes de force et d’en comprendre la logique.
Par ailleurs s’affirme cependant de plus en plus dans le siècle nouveau la volonté de présenter la réalité et les problèmes qui s’y posent d’une manière plus directe, sans habillage romanesque. Toute une littérature qu’il convient de rattacher aux sciences humaines est apparue. Si ses auteurs sont parfois des publicistes ou des scientifiques, souvent il s’agit d’écrivains de fiction, parfois des plus connus.
Les éditions NLO de Irina Prokhorova portent une grande attention à cette nouvelle forme d’expression, et le Salon annuel de non/fiction est l’un des lieux où cette branche des lettres a toute sa place.
De premiers auteurs se fixent pour objectif de photographier la réalité présente, de la restituer afin d’essayer d’en prendre conscience, d’autres entreprennent de l’analyser en mettant souvent en avant les particularités de l’histoire et de la géographie du pays. Ces écrits ne manquent pas le plus souvent d’être polémiques, leurs affirmations sont parfois excessives, contestables, prêtant le flanc à de nombreuses critiques. Elles ont le mérite d’initier dans le pays une culture du débat qui lui a fait et lui fait encore trop souvent défaut, tant dans les conversations privées qu’au plus haut niveau de l’expression artistique. Aussi convient-il de voir là un élément heureux de l’évolution des lettres, et on ne peut que regretter l’indifférence des « grands » éditeurs à l’égard de cette forme d’expression nouvelle. Aussi, allons-nous essayer dans notre revue de commencer à lui donner modestement une petite place.
Dans cette perspective, nous avons choisi de faire découvrir aujourd’hui un ouvrage de Mikhaïl Veller, un auteur qui n’est pas inconnu en France. Avant la publication que nous avons faite (dans notre numéro 18 de février 1996) de La danse du sabre (dans une traduction de Maya Minoustchine), les éditions Noir sur Blanc avaient en effet fait découvrir, six mois seulement après leur parution, Les Légendes de la perspective Nevsky (1993), et l’écrivain avait à cette occasion été qualifié dans Le Monde de « trublion des lettres russes. »
Aujourd’hui, celui qui « troublait » le paysage littéraire par l’acuité ironique et toujours amusée de son regard vient de faire paraître un recueil d’articles que son éditeur lui-même qualifie de « féroce » et dans lequel il s’attache à passer en revue les problèmes les plus aigus de la réalité russe et parfois mondiale actuelle.
D’origine juive lui-même, son article le plus développé et qui ouvre le recueil a pour titre : « Les Juifs comme avant-garde de l’autodestruction de la civilisation », après quoi, au fil de 22 écrits sont évoqués les Russes et l’argent, les Russes et le pouvoir, les Russes et l’avenir du pays, les Russes et la religion…
Les extraits de l’article que nous publions prennent à bras le corps ce que l’auteur définit comme « les grands mythes russes » et si certaines de ses affirmations sont à débattre, il convient cependant de les considérer en regard avec les propos lénifiants qui ont si souvent été exprimés sur ces mêmes sujets.
Irène Sokologorsky