N°44 - La littérature russe pour enfants
Introduction, par Irène Sokologorsky et Odile Belkeddar
Vladimir DAL. - La renarde et le lapin / trad. d’Odile Belkeddar
Youri SMIRNOV. - Macha et l’ours / trad. de Lise Gruel-Apert
Olga SEDAKOVA. - Mes transformations / trad. d’Odile Belkeddar
Andreï KOURKOV. - Gocha, le bébé-aspirateur / trad. de Bernard Birkan
Iunna MORITZ. - Poèmes pour enfants de 5 à 500 ans / trad. de Christine Zeytounian-Beloüs
Kira SAPGUIR. - Poèmes pour enfants / trad. de Christine Zeytounian-Beloüs
Vitali BIANKI. - La première chasse / trad. de Federica Visani
Boris ZAKHODER. - Le régime d’un termite / trad. de Maria-Luisa Bonaque
Igor POTOTSKY. - Histoires fabuleuses d’une bourgade juive / trad. de Céline Marangé
Irina PRESNETSOVA. - Première neige / trad. d’Odile Belkeddar
Marina MOSKVINA. - Une histoire crocodilesque / trad. d’Odile Belkeddar
Evgueni KLIOUEV. - Les professeurs de petits riens / trad. de Françoise Hours
Arthur GUIVARGUIZOV. - À propos des rois, en général / trad. de Carole Foullon et Daniel Lefevbre
Stanislav VOSTOKOV. - Les arbres font du vent / trad. de Julie Féougier
Marina et Sergueï DIATCHENKO. - La souris malchanceuse et autres contes / trad. de Christine Zeytounian-Beloüs
Numéro publié avec le concours du Comité de jumelage de la ville de Pantin.
La littérature russe pour enfants
« Le livre russe pour enfants est le meilleur livre pour enfants du monde » affirmait Marina Tsvetaeva. Aussi avons nous souhaité offrir à nos lecteurs quelques exemples de ce secteur de la littérature russe qui a en outre la particularité, à la différence de la situation que nous connaissons en France, de n’être nullement perçu comme à part, mais faisant partie de plain-pied de la production littéraire et trouvant son lecteur dans tous les âges du public.
Plusieurs raisons peuvent être invoquées.
D’abord l’exceptionnelle richesse en Russie de la tradition orale au sein de laquelle, tout naturellement, les contes, les légendes et les pièces poétiques accessibles, voire destinés aux jeunes, tiennent une très grande place. On le sait, c’est dans une langue slave du sud qu’a pris naissance dans le pays la littérature écrite, après quoi, jusqu’au début du XIXe siècle, les premiers auteurs ont essentiellement tourné le regard vers les littératures occidentales. Par ailleurs, tant dans la Russie pétersbourgeoise que moscovite, l’alphabétisation et l’acculturation de la population ont été tout au plus limitées aux grands centres (on se souvient de l’immense effort qu’a eu à déployer la campagne du Likbez « liquidation de l’analphabétisme » au début des années 20) C’est ainsi que, se nourrissant en outre des multiples cultures présentes sur l’immense territoire, la littérature orale russe a connu un développement autonome et ses différents genres se sont développés d’une manière originale et abondante jusqu’au seuil du XXe siècle, voire au-delà y compris à l’époque soviétique, surtout dans le monde rural. C’est ainsi que Lise Gruel-Apert présente ici un conte recueilli auprès d’une paysanne en 1980.
Au lendemain de 1812, quand Pouchkine entreprend d’élaborer une langue littéraire et une littérature proprement russes, c’est de tout le folklore populaire dont l’a abondamment nourri Arina Rodionovna qu’il veut avant tout se souvenir. Donnant une forme artistique achevée et originale aux récits recueillis de la bouche de sa nourrice, le poète écrit au fil des années plusieurs contes qui ont encore toute leur place dans la mémoire collective. Le pêcheur et le petit poisson [Сказка о рыбаке и рыбке], La tsarine morte et les sept héros [Мертвая царевна и семь богатырей], Le petit coq d’or [Золотой петушок], Le tsar Saltan. [Cказка о царе Салтане], Le pope et son jardinier Bolda [Сказка о полеиработнике Болде]. En 1834 paraît Le petit cheval bossu [Конек горбунок] de Piotr Erchov (1815-1898) dont le succès est tel qu’on en prête parfois la rédaction à Pouchkine lui-même.
À la suite de ces deux auteurs, la thématique et les genres du folklore feront partie intégrante du fait littéraire russe, et prosateurs et poètes trouveront là une source d’inspiration importante. Tout au long des XIXe et XXe siècles, la plupart des grands auteurs adapteront notamment des contes populaires ou en écriront. Citons Achik et Kébir [Ашик и Кебир] de Lermontov, La petite fleur rouge [Aленький цветочек] de Serge Aksakov, Le crocodile Guéna [Крокодил Гена] d’Edouard Ouspenski, Trois ours [Три медведя], Deux amis [Два друга] et Macha [Маша] De Tolstoï. Plus près de nous Mikhaïl Prichvine et son recueil Le rayon d’or [Золотой луч], Constantin Paoustovski Le canot en caoutchouc [Pезиновая лодка], La fleur attentionnée [Заботливый цветок], Les mésaventures du scarabée [Похождения жука носорога] où l’auteur a recours au genre du conte même pour aborder le thème de la guerre. Cette tradition est encore vivante aujourd’hui, et nous présentons ici des récits pour enfants d’auteurs contemporains de tout premier plan comme Olga Sédakova et Andreï Kourkov. Notons que la romancière Lioudmila Oulitskaia, bien connue du lecteur français, a, elle aussi, assez abondamment écrit pour les enfants.
Bien que plus tardivement, au tournant du XXe siècle, s’affirme également dans la culture russe la présence très forte de la poésie pour enfants. Parmi les plus grands, citons Vladimir Maïakovski (1893-1930) qui a composé plus de vingt poèmes à destination de ce public, plusieurs d’entre eux étant populaires aujourd’hui encore : Ce qu’est le bien, ce qu’est le mal [Что такое хорошо, что такое плохо], À chaque page, un éléphant ou une lionne [Что ни страница то слон то львица], Que faire dans la vie [Кем стать]. Ossip Mandelstam (1891-1938) auteur de plusieurs recueils de poèmes dont La cuisine [Кухня], De jolies poules rendant visite à des paons arrogants [Пришли курицы-красавицы к спесивым павам]. Sans oublier les mésaventures pittoresques du Père Stiopa [Дядя Степа] de Sergueï Mikhalkov (1913-2009), qui, en URSS, était connues de tout enfant. Aujourd’hui nous donnons à lire de courts poèmes de Boris Zakhoder (1918-2000) et des deux poétesses Iouna Moritz et Kira Sapguir.
Dans les toutes dernières années du XIXe et au début du XXe siècles, à la faveur du grand bouillonnement culturel que anime Saint-Petersbourg, la littérature destinée aux enfants connaît un développement nouveau et original lié à la rencontre fructueuse entre des auteurs et des illustrateurs. C’est ainsi que Vladimir Konachevitch (1888-1963) se spécialise dans l’illustration des textes de Korneï Tchoukovski. Quant au poète Samuel Marchak (1887-1964) et à l’illustrateur Vladimir Lebedev (1891-1967), ils avancent la conception du livre pour enfant comme d’ « un seul organisme » associant le texte, la peinture et la typographie. V. Lebedev rassemble autour de lui des créateurs parmi les plus novateurs de l’époque, et, présentant sur fond blanc des dessins de couleurs vives découpés avec une totale netteté, le livre pour enfant devient un laboratoire de l’art nouveau. Véritables œuvres d’art, les albums ainsi composés, appréciés des enfants, plaisent tout autant aux adultes.
Une première maison d’édition pour la jeunesse est créée en 1916 sous l’impulsion de Gorki qui pousse K. Tchoukovski, alors avant tout critique littéraire et essayiste, à y collaborer en tant que poète. En 1919 celui-ci publiera à Petrograd Les aventures de monsieur Crocodile [Приключения Крокодила Крокодиловича] extrêmement populaire aujourd’hui encore.
Dans la première décennie soviétique, la littérature pour enfant prend une place encore accrue en relation avec l’idéologie de l’homme nouveau. Ayant à façonner la jeune génération dans l’esprit de l’idéologie communiste, elle est perçue comme essentielle dans l’édification de l’identité soviétique. S. Marchak, poète et traducteur, consacre le meilleur de son activité à la poésie destinée à la jeunesse, mais écrit également des œuvres dramatiques pour les nombreux théâtres pour enfants qui apparaissent dans le pays. En 1922, s’installant à Saint-Petersbourg, il dirige auprès du Narkompros, un studio de formation d’écrivains pour enfants et fonde la revue Vorobej [Le moineau] dans laquelle écriront notamment Evguéni Schwartz (1896-1958) et Vitaly Bianki (1894-1959) dont nous présentons ici un texte. De 1924 à 1937, il dirige en outre une maison d’édition spécialisée dans le livre pour enfants : Detguiz.
Les années 1930 seront fatales à cet élan. Detguiz est démantelé, la plupart des dessinateurs émigrent et plusieurs d’entre eux feront en France le succès des albums du père Castor.
Dans ce nouveau contexte, plusieurs auteurs promeuvent une littérature pour enfant destinée en fait aux adultes. Bâtis sur un schéma folklorique, le conte, le poème deviennent un refuge, un espace de liberté. Le grand maître du genre est K. Tchoukovski qui compose de courtes pièces de vers, plaisantes pour une oreille et une imagination enfantines, mais dont le propos s’adresse en fait aux adultes : La mouche tsоkotouche [Муха цокотуха], Docteur Aij’aimal [Доктор Айболит]. Son texte le plus populaire que chacun aujourd’hui encore est capable de réciter par cœur est Maître cafard [Тараканище] qui dépeint un modeste insecte moustachu faisant régner la terreur dans tout le monde animal jusqu’au jour où un modeste moineau n’en fait qu’une bouchée. Dans les années 1930, comment pouvait-on ne pas lire ce poème sans penser à deux figures de premier plan du monde politique soviétique et international portant moustache ?!
La littérature pour enfants est également dans ces années-là un espace de liberté pour les expériences formelles. Un poète comme Daniil Harms s’y autorise des audaces irrecevables dans la poésie pour adultes. Un espace de liberté également pour l’art non réaliste qui peut s’exprimer avec moins d’entraves dans les albums pour enfants.
Depuis une vingtaine d’années on porte attention en France à cette littérature russe pour enfants. Plusieurs maisons d’édition publient des recueils et des traductions quelques fois heureuses, rééditent des albums. Perçue comme destinée exclusivement aux jeunes, cette littérature reste cependant injustement négligée par le lecteur adulte auquel elle s’adresse le plus souvent tout autant. Souhaitons que les quelques textes rassemblés ici permettent d’en esquisser une nouvelle approche.
Irène Sokologorsky
Après la Perestroïka, l'édition jeunesse a connu une période de latence, peu d'éditions d'Etat ayant survécu et nombre d’auteurs et d’illustrateurs ayant émigré.
En 2011, 20 ans plus tard, on constate l'émergence d'une édition en recherche d'une littérature nouvelle, et de petits éditeurs spécialisés jeunesse se fraient dorénavant une place parmi les éditeurs généralistes ayant développé des collections pour enfants. Une quinzaine d’entre eux participent notamment au salon international du livre Non/Fiction (www.moscowbookfair.ru/en) et au festival international du livre en plein air (http://moscowbookfest.ru/deti.html) Retenons parmi eux les éditions Oktopus, Ogui, Trimag, Krasnyi Parokhod, Mecheriakov, Apriori-press, Melik-Pachaiev, Live-books, A-ba-ba-ga-la-ma-ga... Des rayons Jeunesse existent dans les grandes librairies de Moscou et Saint-Petersbourg, mais aussi dans les librairies de province, même s’ils sont moins achalandés. Par contre les librairies spécialisées Jeunesse restent encore rares.
Les plus grands auteurs continuent à écrire pour les enfants, y compris pour les tout-petits, particulièrement les poètes, et nombre d'albums qui leur sont destinés sont des histoires écrites en vers. Les enfants mémorisent les textes qu'ils partagent ainsi avec leurs parents et ce goût de la langue les introduit dès le plus jeune âge au plaisir du texte. L'humour est souvent au rendez-vous des histoires d'école, le conte, souvent philosophique, transparaît à travers des dialogues animaliers, le rapport au passé, proche ou plus ancien, est fréquent, la dimension onirique est importante, l'amitié est passée au crible.
S’adressant souvent également aux adultes, la littérature pour enfants demeure une composante essentielle du fait littéraire russe. Plusieurs des textes présentés ici ont été primés en Russie.
Odile Belkeddar